Jean-Louis Trintignant dans Le Coeur Battant

Théma Jean-Louis Trintignant

Plus de soixante ans de carrière, entre France et Italie, pour cet acteur mythique.

Durant sa longue et brillante carrière, auréolée des plus prestigieux prix d’interprétation (César, Cannes, Berlin…), Jean-Louis Trintignant a travaillé avec nombre des plus grands cinéastes français de son temps : Alain Cavalier, Costa-Gavras, René Clément, Claude Lelouch, Claude Chabrol, Eric Rohmer, Robert Enrico, Michel Deville, Claude Berri, François Truffaut, André Téchiné, Jacques Audiard, Patrice Chéreau… On s’en souvient peut-être un peu moins, mais il mena parallèlement une très solide carrière transalpine, riche de plus d’une quinzaine de films, avec, là aussi, de grands maestri de Cinecittà (Valerio Zurlini, Dino Risi, Bernardo Bertolucci, Luigi Comencini, Ettore Scola…). Un peu plus d’un an après sa disparition, cette programmation apporte un éclairage bienvenu sur deux périodes, un peu moins connues, de sa vie de (grand) comédien : ses débuts dans le cinéma français des années 60 et sa collaboration en Italie avec Scola, à l’âge de la maturité.

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La Terrasse

Le Jeu de la Vérité

Le Jeu de la Vérité

Le Jeu de la Vérité est un "whodunit" (qui a fait le coup ?) à la française, respectant parfaitement les règles du genre, telles qu’elles furent largement codifiées par les romans d’Agatha Christie : un quasi huis-clos, un meurtre, une kyrielle d’assassins potentiels, avec, pour tous, un mobile solide, un policier qui mène l’enquête. Et, bien évidemment, plein de fausses pistes pour dérouter le spectateur. Le metteur en scène et l’enquêteur sont un seul et même homme, Robert Hossein, qui, en 1961, signe déjà sa sixième réalisation depuis ses débuts derrière la caméra, en 1955. Parmi les suspects, beaucoup de comédiennes et comédiens très en vogue à l’époque, parfois un peu oublié(e)s aujourd’hui. Davantage en tout cas que Jean-Louis Trintignant, l’un des benjamins d’une distribution faisant d’ailleurs la part belle aux actrices, assez jeunes : Françoise Christophe, Nadia Gray, Perrette Pradier (surtout connue comme actrice de doublage, notamment de Faye Dunaway), Jeanne Valérie, Daliah Lavi et Tiny Yong. Les acteurs, eux, étaient plus expérimentés, comme Paul Meurisse, Jean Servais, Georges Rivière ou Jacques Dacqmine, sauf Marc Cassot, de la même génération que Trintignant et, lui aussi, davantage actif comme doubleur (il fut notamment la voix principale de Paul Newman, pendant près de cinquante ans).

Le Cœur Battant

Jean-Louis Trintignant et Françoise Brion dans Le Coeur Battant

Lorsqu’il tourne Le Cœur Battant, en 1962, Jean-Louis Trintignant a déjà une quinzaine de films à son actif, mais finalement encore assez peu de premiers rôles (y compris de premiers rôles masculins), sauf en Italie (comme l’improbable péplum L’Atlantide ou le magnifique mélodrame Eté Violent). Sa notoriété, pourtant déjà grande, est surtout due à son aventure avec Brigitte Bardot à l’occasion du tournage d’Et Dieu… créa la Femme, qui déchaîna la presse people de l’époque (oui, cela existait déjà !). Le Cœur Battant lui offre un vrai premier rôle masculin et, sur le papier, le film ne manque pas d’atouts. Il s’agit du deuxième long-métrage de Jacques Doniol-Valcroze, l’un des fondateurs des illustres Cahiers du Cinéma, et donc l’un des pères de la Nouvelle Vague, qui sort d’un joli succès avec L’Eau à la Bouche, bien aidé par la musique de Serge Gainsbourg. Doniol-Valcroze s'est entouré de collaborateurs de grand talent, comme Michel Legrand à la musique, Christian Matras (chef opérateur de Renoir ou Ophüls) à la photographie, Nadine Marquand (qui vient juste de devenir… Madame Trintignant devant Monsieur le maire !) au montage. Et, à l'écran, la présence inévitable de Françoise Brion, Madame Doniol-Valcroze à la ville, dans le rôle d’une jeune femme, hésitant entre un jeune peintre (Trintignant) et un diplomate chilien (l’inattendu Marc Eyraud, bien plus connu aujourd’hui comme le fidèle inspecteur Ménardeau du commissaire Cabrol, alias Jacques Debary, dans pas moins de 71 épisodes des Cinq Dernière Minutes, entre 1975 et 1992), le tout sous le chaud soleil d’une île de la Méditerranée. Une vraie curiosité, très rarement diffusée !

La Terrasse

Ugo Tognazzi et Jean-Louis Trintignant dans La Terrasse

Si Jean-Louis Trintignant a surtout été actif en Italie dans les années 60, il va pourtant tourner à trois reprises avec Ettore Scola au tout début des années 80 (même si le troisième film, La Nuit de Varennes, est une production majoritairement française). Le sujet de la première de ces trois collaborations est d'ailleurs on ne peut plus italien, puisque La Terrasse explore les doutes existentiels d’une poignée d’intellectuels de gauche, une petite dizaine d’années après que le PCI (Parti Communiste Italien) ait pris clairement ses distances avec Moscou et se soit engagé sur ce que son premier secrétaire, Enrico Berlinguer, appelait alors "l’eurocommunisme". Une quarantaine d’années plus tard, le propos peut paraître un peu daté, mais le film vaut aussi comme témoignage historique de ce moment où le leadership incontestable des communistes sur la gauche italienne a commencé à se fissurer (un thème que, à son tour, Nanni Moretti abordera rétrospectivement, de façon très différente, dans Palombella Rossa, une dizaine d’années plus tard). Ne surtout pas croire pour autant que La Terrasse est un pensum politique indigeste ! Les talents réunis sont bien trop nombreux pour cela. D’abord, Ettore Scola à la réalisation, certainement le plus doué des "jeunes" cinéastes italiens de l’époque (il n’a même pas l’âge de ses personnages principaux), prix de la mise en scène à Cannes en 1976 pour Affreux, Sales et Méchants, César 1977 et 1978 du meilleur film étranger pour Nous nous sommes tant aimés puis Une Journée Particulière. Récompensé à Cannes en 1980, le scénario de La Terrasse a été coécrit avec le mythique duo de l’âge d’or du cinéma italien, Age & Scarpelli (soit Agenore Incrocci et Furio Scarpelli), les auteurs du Pigeon, de La Marche sur Rome, des Monstres et de tant d’autres joyaux transalpins. Et que dire de la distribution du film, qui ressemble à un véritable all stars et réunit, aux côtés de Trintignant, Ugo Tognazzi, Marcello Mastroianni, Vittorio Gassman, Serge Reggiani, Carla Gravina (prix d’interprétation féminine à Cannes pour ce film), Stefania Sandrelli et sa propre fille, Marie, qui porte son inoubliable regard, ici quasi mutique et ironique, sur une génération qui est en train de prendre conscience qu'elle a fait son temps…

Passion d'Amour

Jean-Louis Trintignant dans Passion d'Amour

Un an à peine après La Terrasse, Ettore Scola et Jean-Louis Trintignant se retrouvent pour l’adaptation de l’un des grands romans italiens du XIXème siècle, Fosca, écrit par Iginio Ugo Tarchetti. Pour le cinéaste, Passion d’Amour représente un genre complètement nouveau, le drame romantique, "en costumes" qui plus est, dans lequel le Maestro Visconti avait excellé avec Senso, dans les années 50. Comme pour La Terrasse, il fait appel à plusieurs comédiens français (coproduction oblige), et si l’on y retrouve les habitués de Cinecittà que sont Bernard Blier et donc Trintignant (dans un rôle secondaire mais capital), le choix de Bernard Giraudeau est plus inattendu : le comédien commence tout juste à s’imposer en France (Viens chez moi, j’habite chez une copine et Croque la vie, après le rôle du flirt de Brigitte Fossey dans La Boum). Il incarne ici Giorgio Bachetti, jeune capitaine de l’armée tiraillé entre sa romance avec la belle et douce Clara (Laura Antonelli), une femme mariée, et son attraction/répulsion pour la très disgracieuse et hystérique Fosca (Valeria D’Obici, qui s’est enlaidie pour le rôle de sa vie, qui lui vaudra le David di Donatello, le "César italien", de la meilleure actrice en 1981), fille du colonel de sa garnison, dont il repousse d’abord les avances, avant d’être de plus en plus fasciné par le physique et la personnalité. Bien loin d’une comédie "à l’italienne", Passion d’Amour est donc le récit fiévreux d’une relation étrange et morbide, évidemment appelée à finir dans le drame…

A voir également notre documentaire consacré au comédien, Jean-Louis Trintignant : Mystérieux et Insaisissable).