Matt Damon dans Les Infiltrés

Martin Scorsese, l'Homme-Cinéma

Quatre films majeurs de l'un des plus grands cinéastes américains vivants.

En vingt-six longs-métrages de fiction et une douzaine de documentaires, Martin Scorsese a construit une œuvre cinématographique immense, seulement comparable à celle de Steven Spielberg parmi les anciens jeunes loups de ce que l'on a appelé le "Nouvel Hollywood" (Lucas, De Palma, Cimino, Malick, Schrader, Milius...). En plus de ses très longues collaborations avec les fidèles Thelma Schoonmaker (au montage) et Michael Ballhaus (à la photographie), "Marty" a noué une relation particulière avec deux comédiens phares : Robert De Niro (dix films ensemble en cinquante ans) et Leonardo DiCaprio (déjà six, en à peine plus de vingt ans). Il était donc logique que cette programmation thématique Scorsese face la part belle à ces deux stars hollywoodiennes...

Joe Pesci, Robert De Niro et Sharon Stone dans Casino

Mean Streets - Disponible

Harvey Keitel dans Mean Streets

Même si Who's That Knocking at My Door, tourné six ans plus tôt, en est une sorte d'esquisse, restée assez confidentielle, Mean Streets peut véritablement être considéré comme la matrice du cinéma à venir de Martin Scorsese, dans laquelle sont déjà présentes presque toutes ses obsessions et ses figures les plus familières : religion, culpabilité/rédemption, criminalité, violence, communauté italo-américaine, New York, langage cru (record de f-word pour l'époque !)... Et bien sûr la présence, pour la première fois dans un de ses films, de Robert De Niro. Ce dernier ne tient pourtant que le second rôle, Johnny Boy, inspiré de l'oncle de Scorsese, mais vole la vedette, dès ses deux premières scènes, à son camarade Harvey Keitel, qui est le vrai "héros" du film (sans rancune, les deux hommes se recroiseront en 1976 dans Taxi Driver, mais Robert De Niro est entretemps devenu la tête d'affiche). Autre marque de fabrique scorsesienne, l'omniprésence de la musique et des chansons qui ont rythmé la vie du réalisateur lui-même : The Rolling Stones, Eric Clapton (via Cream ou Derek & The Dominos), The Shirelles, The Ronettes... autant de noms et de sons que l'on retrouvera plus tard, dans plusieurs de ses autres films. Pour l'anecdote, les droits d'utilisation de ces chansons a d'ailleurs représenté la moitié d'un budget de production des plus réduits. Ironie de l'histoire : alors que Mean Streets est souvent cité comme l'un des films new yorkais les plus emblématiques, toutes ses scènes d'intérieur ont pourtant été tournées à... Los Angeles, en studio, par souci d'économies !

La Valse des Pantins

Jerry Lewis et Robert De Niro dans La Valse des Pantins

De très loin le plus gros échec commercial du duo Scorsese/De Niro (qui attendront d'ailleurs sept ans avant de collaborer de nouveau, sur Les Affranchis), mais pourtant considéré par beaucoup comme leur meilleur... Assurément le plus acide et malaisant, un peu comme les scènes de Joker où Joaquin Phoenix se rêve en roi du stand up et s'invite dans un show télé, exactement comme le personnage de Robert De Niro dans La Valse des Pantins, un hommage tout à fait délibéré au film de Martin Scorsese. Car Rupert Pupkin est un aspirant comique se rêvant comme le plus grand (The King of Comedy, comme le titre original l'indique beaucoup plus clairement), qui travaille dur pour cela mais n'a malheureusement aucun talent et dont les blagues ne provoquent que la gêne. Son objectif à court terme ? Se faire inviter dans le show de Jerry Langford et se faire ainsi connaître en direct (et aimer, forcément !) par des millions d'Américains. Mais, personnage assez antipathique, Jerry le rabroue sèchement et amène Rupert et une autre fan du présentateur, l'incontrôlable Masha (étonnante Sandra Bernhard, qui, n'étant pas comédienne de profession, a improvisé la plupart de ses scènes), à décider de mesures plus radicales pour parvenir à leurs fins... Dans le rôle de Jerry Langford, un Jerry Lewis comme on ne l'avait jamais vu, d'une totale sobriété, à mille lieues des grimaces qui ont fait sa réputation. De l'avis de Martin Scorsese lui-même, Robert De Niro livre ici sa meilleure interprétation sous sa direction.

Casino

Robert De Niro et Don Rickles dans Casino

Interrompue après La Valse des Pantins, la collaboration entre Martin Scorsese et Robert De Niro reprend de plus belle au début des années 1990 avec Les Affranchis, Les Nerfs à Vif, puis Casino, qui en constitue une sorte d'apogée. On a beaucoup dit du film qu'il était l'"opéra" de Martin Scorsese et c'est assez vrai : pas seulement à cause de son utilisation de la musique (même si son ouverture sur La Passion selon Saint Matthieu de Bach est inoubliable) mais aussi par le poids du destin (qui frappe dès la scène introductive), les passions exacerbées (la relation entre Robert De Niro et Sharon Stone est sans doute l'une des plus toxiques et tortueuses que Martin Scorsese ait jamais filmée), la flamboyance de la mise en scène, le luxe des décors et des costumes (70 tenues différentes pour Robert De Niro, 40 pour Sharon Stone !)... De nouveau coécrit par Martin Scorsese et Nicholas Pileggi (comme Les Affranchis), Casino est très inspiré de la véritable histoire de Frank Rosenthal, directeur de plusieurs casinos à Las Vegas, et de son "garde du corps", Anthony Spilotro, que nul autre que Joe Pesci ne pouvait évidemment interpréter. Devenue, littéralement, superstar et sex symbol planétaires du jour au lendemain après la projection de Basic Instinct à Cannes en 1992, Sharon Stone trouve là, avec celui de Ginger, le rôle de sa vie (refusé par Michelle Pfeiffer, qui a dû s'en mordre les doigts...), qui lui vaudra sa seule nomination aux Oscars et son seul Golden Globe. Et De Niro retrouve son antagoniste d'Il était une fois en Amérique (mais nulle amitié trahie ici), James Woods, dans le rôle d'une sorte de souteneur particulièrement méprisable. Mais le comédien était prêt à tout, comme en témoigne ce message laissé à Martin Scorsese lorsqu'il apprit qu'il pensait à lui pour ce film : "Any time. Any place. Any part. Any fee" ("N'importe quand. N'importe où. N'importe quel rôle. N'importe quel salaire").

Les Infiltrés

Leonardo DiCaprio et Vera Farmiga dans Les Infiltrés

Troisième acte de la collaboration au long cours entre Martin Scorsese et Leonardo DiCaprio, après Gangs of New York et Aviator (trois autres ont suivi depuis, dont le prochain Killers of the Flower Moon), Les Infiltrés est un film un peu paradoxal dans la carrière du réalisateur. Car s'il s'agit d'un remake (son deuxième, après Les Nerfs à Vif), du polar hongkongais Infernal Affairs, Les Infiltrés est pourtant le seul film lui ayant permis, à ce jour, de remporter l'Oscar du meilleur film et de la meilleure réalisation. Dix-sept ans après sa sortie (2006), le film reste d'ailleurs le plus gros succès de Martin Scorsese sur le territoire américain, avec 133 M$ de recettes. Quoique plus étoffé et avec davantage de personnages, Les Infiltrés reprend donc le principe de base d'Infernal Affairs, particulièrement retors et propice à maintenir une tension dramatique permanente : la rivalité, le plus souvent à distance, entre un policier infiltré dans la mafia (ici, irlandaise) et un mafieux infiltré... dans la police (de Boston). Leonardo DiCaprio et Matt Damon se croisent pour la première fois de leur carrière (et la seule, à date) et le film accentue volontairement leur relative ressemblance physique pour brouiller un peu plus la frontière (floue) séparant les deux côtés de la loi. Ils sont accompagnés par un casting particulièrement prestigieux : Mark Wahlberg, Alec Baldwin, Vera Farmiga, Ray Winstone, Martin Sheen et un Jack Nicholson effrayant, un rôle qui lui va comme un gant, pour sa première incursion dans l'univers de Scorsese.

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